Une récente publicité télévisée nous invite à « traverser la belle tempête qu’est la vie » dans un SUV hybride. « Les optimistes, écrit Bertrand Méheust, sont soit des naïfs mal informés, soit des cyniques désinvoltes qui jouent avec la vie humaine comme on joue aux dés pour assouvir des fantasmes de toute-puissance et/ou pour servir les intérêts d’une caste. Bref, ce sont des nihilistes masqués, tandis que les pessimistes veulent encore préserver l’avenir. »
Mais que signifie « jouer aux dés »? C’est ce jeu qui, insensiblement, a conduit entre autres avanies, à la pandémie Coronavirus, véritable catastrophe culturelle non imputable au seul hasard, un dé de jeu ne comportant que six faces. C’est de ne pas s’apercevoir qu’en avançant d’un pas dans l’innovation, la destination espérée s’éloigne de deux. C’est refuser que la BCE rachète les actifs fossiles composés à 80% de pétrole, de chimie et de pesticides figurant au bilan des banques. C’est imposer une politique de compétition et de puissance au lieu d’une politique de coopération internationale. C’est favoriser l’essor numérique dont la part d’électricité engloutie double tous les quatre ans pour tendre vers 100% en 2030. C’est aussi capitaliser tout ce qui peut être rentable, y compris le vivant. Bref, jouer aux dés, c’est ignorer l’admonestation antique « Ne va pas trop loin ! » en imposant des accélérations effrénées impliquant des urgences telles, qu’elle compromet les remèdes.
Si « pour les hommes, que se produise tout ce qu’ils souhaitent n’est pas le mieux » comme le disait Héraclite dès le 6e siècle avant J.-C, depuis, c’est l’imprévu qui a pris la place du souhait de sorte que pour les hommes, que se produise ce à quoi ils ne s’attendaient pas, est pire. Le sens de la mesure suppose de ne pas en demander plus que de nécessaire. Se mettre d’accord à la légère sur les plus grands sujets en fondant le progrès sur le risque est du côté de l’hubris. « Il est de nombreuses choses redoutables en ce monde faisait dire Sophocle à Antigone, et il n’en est de plus redoutable que l’homme » surtout lorsque son action empêche la nature de s’autoréguler. Mais comment éteindre les causes de la démesure quand des lois spécieuses ne font plus rempart (climat, glyphosate, néonicotinoïdes, etc.) ?
Ne disposerions-nous d’autre idéal que le réel de la destruction méthodique de notre environnement en asphaltant, en bétonnant et en polluant sciemment l’air, les eaux et les aliments? Il compte que les élites comprennent que le développement incontrôlé des sciences et des techniques sous l’impulsion effrénée des marchés financiers conduisent à une régression anthropologique inouïe. Qu’elles comprennent que l’écologie n’est pas une question de choix mais une impérieuse nécessité. Ne pas vouloir anticiper le réel par légèreté ou y faire face avec pusillanimité, c’est se condamner à l’impuissance et à la désolation. Les lois de la nature ne se décident pas plus à l’Assemblée Nationale que l’aventure humaine ne se déroule hors de la nature.
Il importe de ne pas paraître plus bête qu’on ne le devient. L’éloquence sophistique ne saurait subvertir le réel. « Lorsque les imbéciles bloquent le chemin, même un Goethe ne pourrait avancer » disait Karl Kraus. Il est donc plus que jamais nécessaire de démentir les artisans de fausseté pour que dans l’idéal, la seule chose accessible ne soit pas le martyre.
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