Condamnation de Marine Le Pen : la justice applique le droit
- Dominique Jacques ROTH
- 6 avr.
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Effarant ! Il n’est guère d’adjectif plus adéquat pour désigner la péripétie judiciaro-présidentielle sur fond d’essor illibéral et totalitaire à travers le monde. Alors que le président américain gracie des entrepreneurs délinquants, des arnaqueurs d’épargnants ou des menteurs invétérés, les faits ont-ils encore quelque importance quand la figure de proue du Rassemblement National et ses lieutenants contestent avoir détourné de l’argent public (plus de 4 millions d’euros) au profit de leur parti ? L’application du droit a-t-elle encore une importance quand messieurs Wauquiez et Mélenchon, Trump et Musk, Orban et Poutine affirment que la décision rendue est malsaine ou qu’il s’agit d’une violation des normes démocratiques ?
En conspuant la République de juges-tyrans et stigmatisant l’indépendance de la justice, le RN et ses affidés s’attaquent à l’État de droit d’autant plus qu’ils appellent à l’action, rappelant en cela l’épisode du Capitole, de sinistre mémoire. L’affaire est d’autant plus sulfureuse que des archives rapportent des propos on ne peut plus sévères de la part de madame Le Pen et du président de son parti à l’encontre d’anciens hommes politiques coupables de malversations, bien loin « des mains propres et de la tête haute » de leur prédécesseur.
Effarant aussi, que le pouvoir craigne une révolte populaire. Il est sain, rétorque à juste titre un professeur de droit public de ne pas laisser élire des responsables politiques qui, tout le long d’un procès, nient la gravité des faits documentés qui leur sont reprochés. Faudrait-il ne pas condamner le détournement de sommes considérables parce qu’un tiers de la population entend accorder ses suffrages à une cheffe de parti incriminée ? N’y a-t-il pas dans la République quelque chose qui s’appelle la séparation des pouvoirs ?
Il est particulièrement spécieux de soutenir inconditionnellement les magistrats en faisant part d’un trouble suggérant en filigrane la révision de lois portant préjudice à ceux qui s’en plaignent, après les avoir eux-mêmes votées. Le déni dans cette affaire est d’autant plus inquiétant que d’autres prétendants à la fonction suprême en appellent au peuple dont les députés sont l’émanation. En effet, qu’entend-on ? Vox populi, vox Dei… Un peuple qui récuse la loi au sein d’une démocratie aura grande peine à se réclamer d’une essence divine.
Face à une décision de justice fondée sur de faits intangibles et le droit en vigueur, le premier ministre par ses réserves, remet en cause la justice qui est l’un des piliers essentiels de la démocratie. La mesure est comble quand le Conseil constitutionnel lui-même en appelle à la proportionnalité de la peine au regard de la liberté des électeurs. La décision d’inéligibilité rendue par le tribunal appliquant le droit sans trembler représente un progrès considérable au regard d’un laxisme dont le peuple, par le passé, a pu s’émouvoir à juste titre. Oui, la France est encore une démocratie et la justice, en première instance, lui rend honneur et redore son blason. Reste à voir si la justice confirmera ce jugement en appel. Dans une démocratie qui n’en porte pas que le nom, nul n’est au-dessus de la loi, pas même une favorite à la présidentielle.
Tribune publiée le 3 avril 2025 dans l'Humanité.
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