Ses effets réels ne cessant de poser problème, le terme « progrès » est progressivement remplacé par le mot « innovation ». Ce n’est pas le moindre des paradoxes que les élites justifient l’innovation par le constat d’un état critique du présent alors que le progrès suppose une pré-configuration du futur à la fois crédible et attrayante. On compte donc sur l’innovation pour conjurer les effets délétères du progrès. Force est cependant de constater que les promesses mirifiques du progrès et de l’innovation sombrent dans les avatars du réchauffement climatique. Il va donc falloir inventer autre chose, ou alors soumettre l’idée de progrès à elle-même, c’est-à-dire la faire progresser en tenant compte des effets produits par sa démesure. En revanche, les affidés hightech comptent bien prendre le tournant de la 5 G à l’instar d’Emmanuel Macron qui ne veut pas revenir à la lampe à l’huile, ne croyant pas au modèle amish. Le propos est outrancier, mais n’ayant jamais fait dans la dentelle, il ignore probablement le livre sérieusement documenté de Florence Rolando : Les Ondes 5G et notre santé.
Présentée comme plus rapide, plus réactive, plus connectée et plus écologique, outre des vitesses de transmission plus élevées et des temps de réaction plus courts, la 5G, écrit Henrique Schneider, directeur adjoint de l’USAM, permettrait de faire fonctionner beaucoup plus d’appareils qu’auparavant, ce qui ne va pas dans le sens de la sobriété requise par la COP 21. Pour acheminer 1 giga de data, la 5G utiliserait 2 fois moins d’énergie que la 4G à son lancement, et 10 fois moins d’énergie à horizon 2025, assure également Orange, mais à l’instar des promesses américaines d’un radium roboratif, la qualité d’un arbre se juge à ses fruits et non aux louanges du pépiniériste. Contrairement à ce qu’affirme l’équipementier téléphonique Ericsson, un rapport de MTN Consulting et d’autres experts estiment que la 5G devrait au contraire doubler ou tripler la consommation d’énergie des opérateurs mobiles, avec une augmentation connexe des coûts énergétiques. Un réseau 5G consommerait trois fois et demie plus d’électricité que la 4G, dû à une combinaison d’antennes MIMO massives et de la prolifération de petites cellules. Pour Anne-Cécile Orgerie, chercheuse au CNRS, la 5G promet d’être un gouffre énergétique. Seule une prise de conscience des utilisateurs de la nouvelle génération de réseaux de téléphonie mobile, ce qui est peu probable, permettrait d'éviter un nouveau fiasco environnemental.
Pour Pascal Picq, la raison numérique qui s’appuie sur une créativité artificielle (algorithmes évolutionnaires), nous oblige à reconnaître que les idées et les formes logiques de la pensée sont reçues par héritage, comme le produit de communautés historiques déterminées par les techniques, confirmant qu’elles ne font jamais que déployer leurs possibilités. Nous « obligeant » veut dire que la nouvelle norme tire sa validité de la pure extension d’une forme antécédente, prête à l’accueillir génériquement, sans se préoccuper des effets que ces innovations pourraient engendrer. Appendue à une forme générique, notre servitude perd ainsi caractère volontaire. Le crédit invariablement accordé aux innovations futures dont on ignore les effets réels empêche d’en appréhender correctement les conséquences et les pouvoirs publics bottent invariablement en touche.
« Ce qui est advenu dans l’histoire, disait Ferguson, est le résultat assurément, de l’action humaine, mais non l’exécution d’un quelconque dessein humain», les conséquences de nos innovations pouvant être antagonistes avec leurs intentions. Les catastrophes arrivent toujours par surprise et c’est toujours le « non voulu » qui prend le dessus. L’intelligence humaine n’ayant jamais su empêcher les dérives, serions-nous désormais tenus de glorifier toute innovation quelle qu’elle soit ? « Jamais le capitalisme n’a été aussi peu capable de résoudre les problèmes qu’il engendre » - Covid-19 n’y a rien changé- « mais cette incapacité ne lui est pas mortelle : il a acquis la faculté, peu étudiée et mal comprise de maîtriser la non-solution de ses problèmes ; il sait survivre à son mal fonctionnement et en tire même une nouvelle force », écrivait André Gorz.
Les photos de rivières charriant des dizaines de milliers de poissons morts dès les années 1970 n’ont pas modifié le cours du « progrès », bien au contraire. Supportant les avatars du discours de la science, c’est comme si les humains attendaient la découverte uniquement bénéfique qui ne les décevrait pas. A l’instar du charbon « inoffensif » pour les mineurs, du nucléaire « propre» ou de « l’innocuité » de l’amiante, Rudolph Boehm, dans Critique des fondements de l’époque, se demande si nous ne sommes pas les jouets d’un jeu inhumain bien plus que les joueurs et si ce jeu ne leur fait pas perdre tout contact avec la réalité. Nombre de médecins et de scientifiques anticipent les effets néfastes des ondes millimétriques de la 5G, de l’association des fréquences et de la multiplication des antennes surpuissantes sur la santé, évoquant "un risque de cancer, de stress cellulaire, d'augmentation des radicaux libres nocifs, de dommage génétique et du système reproducteur, de déficits d'apprentissage et de mémoire, de troubles neurologiques". Mais pas prouvé, pas pris. Les décideurs expérimentent donc sans tenir compte des alertes puis ils généralisent et en cas de problème, ils récusent. Scénario désormais banalement tragique.
Mues par l’exigence formelle de modernité et sans nécessité autre que de sacrifier au mythe de la croissance et du profit dans un monde fini, les innovations tous azimuts complexifient toujours davantage des systèmes de plus en plus fragiles nécessitant de plus en plus de cahiers des charges et de parades techniques pour en atténuer les risques, accroissant l’angoisse des populations. De telles pratiques ne sauraient concourir au bien commun. C’est ce que Christian Fierens appelle « le ronronnement d’un discours dégénéré ».
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