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Photo du rédacteurDominique Jacques ROTH

Sur la dette. Hommage à David GRAEBER.

Parce que la monétisation et la guerre font cause commune depuis l’origine. Au-delà d’un État débiteur moral, la monétisation a été depuis toujours l’alliance pernicieuse entre guerriers et financiers. Tout système qui réduit le monde à des chiffres n’a jamais pu être maintenu que par les armes.


Pour le regretté David GRAEBER, les thuriféraires néolibéraux font tout pour ne jamais autoriser la remise en cause du principe de la dette. Pourtant l’argent n’est pas sacré pas plus que le paiement des dettes ne saurait constituer l’essence de la morale. Pourquoi ? Parce que la monétisation et la guerre font cause commune depuis l’origine. Au-delà d’un Etat débiteur moral, la monétisation a été depuis toujours l’alliance pernicieuse entre guerriers et financiers. Tout système qui réduit le monde à des chiffres n’a jamais pu être maintenu que par les armes.

Si la démocratie a un sens, elle devrait nous permettre de nous mettre d’accord pour réagencer les choses comme l’a fait l’Islande, sans dommage pour son peuple. La propension invétérée du capitalisme à privilégier le court terme menace d’emporter le monde entier dans sa chute. Rien ne serait donc plus bénéfique que d’effacer entièrement l’ardoise.

Quand la sociabilité humaine laisse place aux calculs glacés transformant les réseaux locaux d’honneur et de confiance en systèmes de coercition, les tourmenteurs s’emparent des produits de la coopération, de la créativité, du dévouement, de la confiance et de l’amour pour en refaire des chiffres. Les marchés commerciaux impersonnels étant historiquement nés du vol, présenter le marché comme la forme la plus haute de la liberté humaine est une escroquerie.

Il aura fallu une somme de violence incalculable pour arriver à ne plus savoir distinguer ce qui pourrait ressembler à une liberté humaine sérieuse. Les formes de pensée fondées sur le seul calcul sont devenues un poids mort. La militarisation de l’histoire et les lois liberticides s’efforcent d’évacuer notre capacité à dire que le capitalisme a transformé le monde de bien des façons, de manière irréversible. Pouvoir d’exclusion, il insupporte au capitalisme néolibéral l’idée de voir gagner ceux qui contestent les rapports de pouvoir existants. Ce faisant, il nous empêche d’imaginer toute alternative qui ne serait pas pire.

On voit aussi comment, après Covid-19, les règles gravées dans le marbre de traités apparemment intangibles, ont volé en éclat et comment la dette s’est transmuée en investissement d’avenir comme par enchantement. En fait, la dette, le pouvoir, le symptôme et la rédemption sont depuis toujours étroitement entremêlés. Si bien que l’endettement est devenu une question de survie. N’est-ce pas le sort létal du capitalisme fondé sur le principe d’une dette perpétuelle, qui se trouve surdéterminé à la faveur de catastrophes inattendues ? La tendance de l’accroissement inéluctable de la dette, quitte pour les banques, à servir des taux d’intérêt négatifs, s’apparente au destin d’une pyramide de Ponzi, folle machine ne pouvant s’arrêter. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui, est le spectacle de la déliquescence du capitalisme rattrapé par ses causes fondatrices, aux antipodes de l’idéal d’une utopie sans dette rêvée par Adam Smith.

Sans parler de la sidération des peuples voyant soudainement couler un flot de milliards alors qu’il n’était jusqu’alors question que d’austérité, qui pourrait sérieusement croire que le quantitative easing ou « argent magique » pourrait durablement s’adosser à un numéro de prestidigitation dans un monde aux ressources finies ? Le dollar flottant a semé en germe l’apothéose de l’alliance sacrée entre un appareil militaire, juridique, carcéral et policier… et les financiers. La dette, écrivait David GRAEBER en fin psychologue, est la perversion d’une promesse. Plane le spectre du défaut de paiement en guise d’estocade…

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