Il semblerait que l’intelligence du cœur soit cruellement en panne pour restaurer le lien et faire réellement société. Il se disait un temps que la France ne voudrait plus d’un face-à-face Macron-Le Pen. Il y a peu, un sondage annonçait que les 18-24 ans étaient acquis à E. Macron et les 24-35 ans à M. Le Pen. Le premier sondage à un an de la prochaine présidentielle annonçait Macron à 29 % et Le Pen à 28, score qui s’est ensuite renversé à 25-27 au profit de la deuxième, comme si à titre d’alternative, la réaction au désarroi sociétal devait nécessairement passer par un scénario offrant plus de gages encore à un capitalisme mortifère fondé sur la déprédation des ressources, l’antagonisme exacerbé des classes, le racisme, le sexisme, le néocolonialisme, la compétition et l’accroissement infini du profit.
L’homme, écrivait La Bruyère, dédaigne la vérité simple et ingénue, n’aime que la fiction et la fable, il veut du spécieux et de l’ornement. Bref, il veut jouir de sa déraison.
Chronique d’une catastrophe annoncée où l’information à caractère émotionnel le dispute au spectaculaire, les médias mainstream ne cessent de marteler que la dépense publique représente 57 % du PIB sans dire que le CICE, inefficace pour l’emploi, en fait partie, suggérant en outre qu’il ne resterait que 43% pour les dépenses privées alors que celles-ci représentent 200% du PIB.
La justesse du propos cède la place à l’endoctrinement et à la domination de milliardaires aux manettes. La permanence de la cupidité devrait-elle abonder une épidémie qui dure, dont on ne dit pas assez qu’elle est l’un des effets délétères du progrès ? Innover va de pair avec la promotion de prise de risques insensés, surtout quand c’est le non voulu qui prend le dessus pour ne profiter qu’aux multinationales des médicaments, sans remédier aux causes. Investir dans la recherche vaccinale est une chose, prévenir en est une autre.
L’innovation dont se gargarisent les élites ne met pas le vivant au centre de leurs préoccupations. On guérit difficilement du mal quand le geste même du soin s’avère être un symptôme. Ainsi la 5G, avancée technologique anecdotique sans rapport avec un progrès humain digne de ce nom. La prise en compte du réchauffement climatique interdisant de construire de nouveaux centres commerciaux de plus de 10.000 mètres carrés alors que 80 % des constructions s’avèrent inférieures à cette surface et qu’Amazon s’en trouve exonéré, est une escroquerie morale.
A dire tout et son contraire, le président Macron ne recréera pas 100.000 lits d’hôpitaux, il n’exigera pas la levée des brevets vaccinaux, il ne promouvra ni l’agro-écologie, ni le ferroviaire, ni la rénovation massive de l’habitat, ni le recyclage des déchets, ni la protection des retraites, ni la multiplication des crèches, ni le retour de l’ISF, ni un salaire correct pour les premiers de corvée, les enseignants, les assistantes maternelles, les infirmières, etc. Penser que la droite de la droite y remédierait mieux que lui est illusoire. En douter revient à resserrer le garrot d’une population déjà très éprouvée.
Non contents de saccager le service public au lieu d’analyser les avatars du discours néolibéral qu’ils promeuvent, les élites relayées par les médias en boucle possédés par les milliardaires du CAC 40 ne cessent de mystifier les populations, qui s’y laissent prendre. Sauf deus ex machina - les séquences Gilets jaunes et Covid 19 n’y ayant pas suffi-, tout laisse penser que le monde d’après mai 2022 sera un enfer austéritaire approfondissant un capitalisme autoritaire décomplexé qui fera loi et dont la propension mortifère continuera à mettre la dépense publique au service des plus riches.
Ne serait-ce que parce que l’eau, l’air et les aliments sont pollués, le désastre est déjà là. Quand le monde se « droitise », il n’est pas sûr qu’il s’humanise. Quand on laisse les migrants se noyer par centaines et que la conscience fait naufrage, il ne reste plus que la pulsion de mort qui surdétermine un discours entretenant une jouissance dégénérée.
Dominique Jacques Roth
Psychanalyste et auteur
Paru dans "l'Humanité" le 04-06-2021
Comments